L’erreur est le propre de l’homme. Elle nous distingue des animaux qui sont davantage liés à l’instinct et participe à faire de nous des êtres pensants, en anticipation perpétuelle. C’est l’erreur qui nous donne notamment la possibilité de tester, d’apprendre, de comprendre, de rectifier, d’approfondir et d’inventer. L’erreur a ses bienfaits, tant qu’elle n’est pas répétée et persistante. Dès lors, comment faire pour apprendre de ses erreurs ?
Errare humanum est…
La maxime latine est toujours valable quelque deux mille ans plus tard. Sénèque, Cicéron ou encore Tite-Live avaient bien perçu cette caractéristique propre à l’homme. Si certains l’entendent comme une fatalité pour l’homme, les philosophes y voyaient également l’occasion de se perfectionner et d’apprendre. Du point de vue des neurosciences, le traitement de l’erreur par notre cerveau a son propre protocole, que les neuroscientifiques sont aujourd’hui capables de suivre.
Comme le soulignent Emmanuel Procyk et Martine Meunier, respectivement directeur de recherche de l’Institut cellule souche et cerveau à Lyon et directrice au Centre de recherche en neurosciences de Lyon, dans le magazine Cerveau & Psycho, « notre cerveau est équipé de multiples systèmes de détection des erreurs, de correction et de vérification. Il se sert de ces systèmes pour apprendre. Le priver de la possibilité de commettre des erreurs, c’est bloquer ses processus d’apprentissage ».
Il est d’ailleurs fascinant de comprendre comment notre cerveau réagit en cas d’erreur. Lorsqu’il s’agit d’un geste par exemple, l’aire motrice de notre cerveau met 80 millisecondes pour envoyer un signal (l’ERN, pour error-related negativity) et entraîner un ralentissement des mouvements, voire les stopper. S’il est nécessaire de réajuster le geste ou de le modifier, c’est une autre aire du cerveau qui prend le relais, le cortex singulaire antérieur, qui réagit, lui, en 250 millisecondes. À ce moment-là, la prise de décision ou le changement d’action peuvent avoir lieu.
Les erreurs sont les portes de la découverte, selon James Joyce
Tout comme un « Eurêka » allume une grande lumière dans le cerveau, l’erreur déclenche un petit voyant, qui prévient l’ensemble du cerveau et prépare à la suite. « Ce que notre cerveau détecte, ce sont des écarts par rapport à ses attentes. Ce sont donc des erreurs de prédictions et celles-ci peuvent aller dans les deux sens », précisent également les deux neuroscientifiques. Les recherches ont même permis d’établir qu’il existe des neurones de l’erreur, ce sont des neurones dopaminergiques situés dans le mésencéphale.
Bien sûr, il existe différents types d’erreurs dans la vie. On peut tourner à gauche au lieu de tourner à droite, on peut se tromper sur ses tables de multiplication, on peut se tromper sur une date ou lors d’une expérience scientifique. Le cas de Thomas Edison est souvent cité. Celui-ci a dû faire des centaines de tentatives, voire plus, pour parvenir à voir fonctionner son ampoule. Comme nous le rappelle Charles Pépin, philosophe et écrivain, si certains ont vu ses multiples essais comme des échecs, lui avait une tout autre perspective : « Je n’ai pas échoué des milliers de fois, j’ai réussi des milliers de tentatives qui n’ont pas fonctionné. »
L’erreur, et non l’échec, est en réalité fondamentale dans toute recherche scientifique. Elle permet d’aboutir, à terme, au bon résultat. Il s’agit donc de se positionner du bon côté de l’erreur, du côté qui permet d’aller de l’avant, pas du côté d’une erreur qui ralentit et qui est mal perçue par la société.
… sed perseverare diabolicum
Toutefois, il faut savoir que l’erreur n’est pas seulement un cheminement de signaux positifs ou négatifs. Elle est aussi liée à nos émotions et à notre raison, et par conséquent à notre capacité à tirer les enseignements d’une erreur passée. Car oui, nous avons tendance à persister dans l’erreur, c’est un fait empirique.
Alors, pourquoi persistons-nous du mauvais côté ? La faute incombe à nos émotions et à ce que les neuroscientifiques nomment le « biais de choix ». Comme l’expliquent Emmanuel Procyk et Martine Meunier, « “j’ai-choisi-donc-j’aime” est un mécanisme ancien, hérité de l’évolution, qui existe chez le singe comme chez l’humain ». Autrement dit, nous choisissons bien volontiers de nous tromper une seconde fois, parce que la première erreur relevait de notre décision à nous. Et cela révèle beaucoup sur notre fonctionnement et sur ce qui peut nous empêcher, face à l’erreur, d’apprendre tout simplement.
Et devant notre tendance naturelle à persévérer dans l’erreur, celle-ci n’a donc pas toujours force d’apprentissage. En tout cas, pas lorsqu’il s’agit de nos propres erreurs. Pour Martine Meunier, également directrice de recherche au CNRS, l’observation des erreurs des autres est alors un bon outil pédagogique. À la suite d’une étude menée en 2012, elle précise même que « lorsqu’il s’agit d’apprendre, voir les autres se tromper est plus bénéfique que de se tromper soi-même ». Et de préciser avec l’adage suivant, « on voit la paille dans l’œil de son voisin, mais pas la poutre dans le sien ».
Du point de vue du formateur
Dès lors, comment utiliser et exploiter ces études en formation ? Quelle est la bonne méthode pour faire pratiquer l’erreur avec raison ? Car il y a façon et façon de se focaliser sur l’erreur afin de stimuler mentalement les apprenants.
Dans un parcours en digital learning, souligner l’erreur permet ainsi d’attirer l’attention et de donner la possibilité à l’apprenant d’apporter un intérêt tout particulier à cette erreur. L’Ancrage Mémoriel® s’appuie d’ailleurs souvent sur l’identification d’erreurs dans des mises en situation clés de comportements, afin d’aboutir à une meilleure mémorisation et d’ancrer la bonne réponse ce faisant.
En présentiel, il peut être bon de s’appuyer sur la participation des apprenants et de l’encourager. En plus de l’aspect social, cela permet également de solliciter l’attention des apprenants d’une autre façon, en regardant « la paille dans l’œil de leur voisin ».
C’est aussi l’occasion de valoriser les apprenants, en faisant preuve de pédagogie, en leur donnant envie d’apprendre et de relever de nouveaux challenges d’apprentissage, en tentant de mettre de côté la mentalité française sur l’erreur et les quelques reliquats psychologiques laissés parfois par nos écoles. Rassurez-les. Il est bon de se tromper.