par Fabien Fenouillet – Professeur de psychologie cognitive. Université Paris Ouest Nanterre La Défense
Dans une expérience sur l’apprentissage de cartes de géographie, Fenouillet et Lieury (1996) ont demandé dans un premier temps à des étudiants de resituer correctement les capitales européennes afin d’évaluer leur niveau d’expertise. À l’issue de cette première épreuve, le programme de test leur a fait savoir qu’ils étaient soit premiers (feed-back positif : il s’agissait d’une information généralement fausse manipulée pour les besoins de l’expérience) soit derniers (feed-back négatif : information là aussi manipulée), voire ne leur a donné aucune information (sans feed-back).
Ensuite, les expérimentateurs ont demandé aux étudiants d’apprendre la carte des capitales africaines en cinq essais. Les résultats ont permis de mettre en évidence que les performances des apprenants qui avaient déjà un bon niveau d’expertise en géographie européenne ont fortement grimpé en fonction du feed-back. Les apprenants experts, avec un feed-back positif ou négatif, ont multiplié par deux le nombre de capitales africaines apprises par rapport au groupe sans feed-back. Autrement dit, le fait de dire à un expert qu’il est bon ou mauvais le motive à utiliser pleinement tout son potentiel. Par contre, chez les novices, le feed-back n’a eu aucune influence sur les performances.
Il peut sembler trivial de dire d’une personne motivée qu’elle apprend mieux. Pourtant, comme nous venons de le voir, cette question est plus complexe qu’il n’y paraît car la motivation peut agir sur les moyens d’apprentissage sans pour autant agir sur la mémoire. En effet l’apprentissage, surtout à l’âge adulte, n’est jamais une première expérience. Un apprenant confronté à un apprentissage a donc expérimenté des moyens qu’il sait plus ou moins efficaces. Parmi eux, il sait notamment que plus il va passer de temps à apprendre la même chose, plus il a de chance de la retenir.
Un apprenant motivé, en passant plus de temps que celui qui n’est pas motivé, va donc apprendre plus de choses et mieux les retenir. Dans ce cas de figure, s’il est indéniable que la motivation est bien en mesure d’agir sur l’apprentissage, elle ne va pas pour autant agir sur les capacités de la mémoire. Pour que la motivation ait une réelle action sur la mémoire, il faudrait qu’elle ait une action indépendamment des moyens d’apprentissage mis en œuvre par l’apprenant. Est-ce le cas ?
Avant de pouvoir répondre à cette question, il faut d’abord savoir de quelle mémoire nous parlons. Nous savons clairement maintenant qu’il existe plusieurs systèmes avec des caractéristiques très différentes. Sans qu’il soit besoin d’entrer trop dans le détail, il est nécessaire de distinguer une mémoire à court terme, dont les capacités sont très limitées, d’une mémoire à long terme, virtuellement illimitée. La motivation peut-elle agir sur la mémoire à court terme, sur la mémoire à long terme, sur les deux ?
La mémoire à court terme a une capacité limitée à environ 7 plus ou moins 2 items, et la durée de vie d’une information dans cette mémoire est estimée au maximum à 30 secondes. Dire que la motivation agit sur la mémoire à court terme pourrait signifier que la motivation permet d’en augmenter la capacité (retenir en moyenne 8 items par exemple) ou encore d’en accroître la durée de vie des informations (retenir les informations à court terme au moins une minute par exemple).
Les expériences à ce niveau permettent clairement de dire que la motivation n’a aucune action sur ces deux caractéristiques. Par contre, elle agit sur des mécanismes qui sont directement sous le contrôle de l’individu. La motivation en mémoire à court terme agit sur l’attention que porte l’individu aux informations à mémoriser.
Si la mémoire à long terme est théoriquement illimitée, les informations qui y sont stockées volontairement proviennent de la mémoire à court terme. Autrement dit, en focalisant l’attention comme nous avons pu le voir dans le paragraphe précédent, la motivation agit directement sur la mémoire à court terme et indirectement sur la mémoire à long terme.
Pendant longtemps, les théoriciens de la mémoire ont donc considéré que la motivation n’agit pas directement sur la mémoire à long terme, mais indirectement au travers des processus attentionnels de la mémoire à court terme. Cependant, plus récemment, différentes expériences ont pu mettre en évidence que la motivation était également capable d’agir, directement cette fois, sur l’organisation de l’information en mémoire à long terme. En effet, une des spécificités de la mémoire à long terme est son organisation.
Les experts dans un domaine, comme par exemple les joueurs d’échecs, montrent des capacités de mémorisation surprenantes mais qui restent spécifiques au domaine de connaissance où ils sont experts. Un expert en échecs est ainsi capable de rappeler en un seul coup d’œil tout un échiquier, alors qu’un novice dans les mêmes conditions ne pourra rappeler que quelques pièces (7 en moyenne). Il s’avère que la motivation interagit avec ces capacités d’expertise.
Si l’individu n’a aucune expertise dans un domaine de connaissance, la motivation n’aura aucun impact sur l’organisation de l’information en mémoire à long terme. Par contre, s’il est expert, la motivation va faciliter l’organisation des informations et accroître sensiblement ses performances de mémorisation.
Pour résumer, la motivation agit principalement sur les stratégies que met en place l’individu pour apprendre. D’ailleurs, les recherches sur l’autorégulation des apprentissages montrent qu’il ne suffit pas de connaître les stratégies d’apprentissage pour les mettre en œuvre, il est indispensable que l’apprenant soit motivé pour qu’elles révèlent tout leur potentiel.
Principaux points à retenir :
– en mémoire à court terme, la motivation agit sur l’attention ;
– en mémoire à long terme, la motivation agit sur l’organisation ;
– d’une manière générale, la motivation agit puissamment sur l’apprentissage au travers de la mise en œuvre de stratégies d’apprentissage contribuant à la mémorisation.
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